26 avril 2021
Aimer sa vie ou y renoncer
Jean 12,20-33
Parmi les 4 évangiles, Jean est le seul à parler du désir de quelques Grecs de vouloir rencontrer Jésus après son entrée à Jérusalem. Cette demande (qui n’aboutira pas) donne à Jean l’occasion de rapporter des paroles de Jésus particulièrement importantes pour comprendre ses états d’âme devant sa Passion, ce qu’implique le fait d’être son disciple, et ce qui se joue dans le monde spirituel dans l’acceptation de son sacrifice.
Parmi les foules qui venaient à Jérusalem au moment de la fête de Pâque, il y avait des Juifs, bien sûr, mais aussi des prosélytes, c’est-à dire des païens qui avaient adopté la religion juive.
Ce qui pousse les Grecs, dont il est question dans ce récit, à demander à Philippe de rencontrer Jésus, ce n’est sans doute pas une simple curiosité, comme celle de Zachée (Lc 19,3). Pourquoi peut-on affirmer cela ? Parce que Philippe et André n’auraient pas rapporter la demande à leur Maître s’ils n’avaient pas discerné que le désir de ces prosélytes était de comprendre vraiment qui était cet homme. En effet il est vraisemblable qu’ils avaient vu Jésus entrer à Jérusalem, acclamé par une foule en liesse, et qu’ils l’avaient vu aussi chasser les vendeurs du Temple, et qu’ils s’interrogeaient sur le sens de ces événements.
La rencontre avec ces Grecs n’aura pas lieu, mais cette demande de la part de païens prosélytes déclenche chez Jésus une prise de conscience aiguë de la proximité et des souffrances de sa Passion : « L’heure est maintenant venue où le Fils de l’homme va entrer dans sa gloire ». « À présent, je suis angoissé, mon âme est en émoi » (v. 23 et 27). Mais la demande de ces Grecs semble aussi avoir donné une conscience nouvelle à Jésus, concernant la portée universelle de sa mort.
Quelles paroles de Jésus permettent d’affirmer cela ? Eh bien, souvenez-vous de la rencontre de Jésus avec une femme cananéenne qui vient le supplier de délivrer sa fille tourmentée par un démon. Au début, Jésus ne lui répond même pas, et les disciples conseillent même à Jésus de la renvoyer. Mais la femme vient se prosterner devant Jésus et le supplie de nouveau. Cette fois, Jésus répond. Que lui dit-il ? « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdus de la maison d’Israël » (Mt 21,24). Finalement, il accède à sa demande et la fillette est délivrée.
On retrouve la même idée quelques chapitres avant. Jésus envoie ses disciples en mission et leur donne la consigne suivante : « N’allez pas vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 10,6).
Or, dans notre texte, Jésus parle de sa mort, non plus à ses disciples seulement, (Cf Mc 8,31 ; 9,31 ; 10,33) et sans faire de commentaire, mais à toute une foule, à laquelle il enseigne l’implication de sa mort dans la vie d’un croyant. Or Jésus sait très bien qu’il n’y a pas que des Juifs, dans cette foule. Il sait qu’il y a aussi des non-juifs, des prosélytes venant de nations païennes, et que ce qu’il dit les concerne aussi.
La mention de la demande des Grecs, chez Jean, n’est donc pas un détail insignifiant. Elle a un sens précis.
Je le relis le v. 24 : « Vraiment, je vous l’assure : Si le grain de blé que l’on a jeté en terre ne passe pas par la mort, il reste ce qu’il est : un grain unique. Si par contre il meurt, il donne naissance à d’autres grains et il porte du fruit en abondance. »
De quoi est-il question ? Pour faire comprendre sa pensée, Jésus commence par prendre un exemple concret, que ses auditeurs étaient capables de comprendre, puisqu’ils vivaient dans une société agraire. En effet, un grain de blé qui reste dans une assiette ne donnera jamais un épis, ne se multipliera pas, même au bout de 20 ans. Pour qu’un épis pousse, il faut que ce grain soit mis en terre et se décompose. C’est à partir de cette forme de mort que le grain va germer et donner vie à un épis qui va produire des dizaines de grains nouveaux.
Dans le verset suivant (25), Jésus va calquer cet exemple concret et l’appliquer à la vie d’un homme : « Celui qui est attaché à sa vie propre la perdra ; mais celui qui fait peu de cas de sa vie en ce monde la retrouvera pour la vie éternelle ».
« Lorsque Jésus emploie l’expression « sa vie propre » (celui qui est attaché à sa vie propre), il désigne la vie naturelle, avec toutes les facultés dont cette vie est dotée chez l’homme. Cette vie psychique et physique est bonne, en tant que point de départ de l’existence humaine. Jésus la possède aussi. Mais la destination de la vie naturelle n’est pas de se maintenir et de se perpétuer telle quelle : elle doit être transformée, par une force supérieure, en vie spirituelle et éternelle. Or, pour cela, elle doit être volontairement livrée, sacrifiée, immolée sous la forme du renoncement. Sans cela, après s’être épanouie un moment, et s’être plus ou moins pleinement satisfaite, elle dépérit et se fane pour toujours. Tout ce qui n’est pas livré à Dieu par un acte de libre renoncement renferme un germe de mort ». (Frédéric Godet)
On aurait tendance penser que ce que dit Jésus dans ce verset (25) ne concerne que ses auditeurs, ne s’adresse qu’aux hommes et aux femmes qui sont là devant lui. Bien sûr, ces paroles de Jésus concernent les hommes présents ce jour-là, et les hommes de tous les siècles.
Mais n’oublions jamais que ce que Jésus dit à la foule, il l’a vécu avant nous, pour nous donner l’exemple du renoncement et de la soumission à Dieu. L’apôtre Paul le dit en d’autres termes : « Ayez en vous la pensée qui était en Christ-Jésus, lui dont la condition était celle de Dieu, il n’a pas estimé comme une proie à arracher d’être égal à Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, en prenant la condition d’esclave, en devenant semblable aux hommes ; après s’être trouvé dans la situation d’un homme, il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,5-11).
Au v. 23 : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié », la gloire dans laquelle Jésus dit qu’il va entrer ne ressemble en rien à celle d’un Louis XIV ou d’un Napoléon au sommet de leur puissance. Elle passe par le renoncement volontaire et le don total de soi à Dieu. Dans la sphère du monde, c’est un gâchis, un échec lamentable, une attitude de looser, de perdant. Dans la sphère céleste et spirituelle, c’est le sommet de l’amour, c’est l’œuvre de salut voulue par le Père et réalisée par le Fils, ce Fils qui a accepté de donner sa vie pour le salut des hommes. C’est par ce don total qu’il va être glorifié.
Le v. 26 s’adresse aux disciples de tous les temps : « Si quelqu’un veut être à mon service, il devra me suivre et passer par le même chemin que moi. Mon serviteur sera là où je suis (présent et non futur). Si quelqu’un est à mon service, le Père lui fera honneur »
De quel chemin Jésus parle-t-il pour son serviteur ?
1) Jésus fait d’abord comprendre au disciple que la décision de le suivre n’est pas ponctuelle, mais permanente : « il devra me suivre », c’est-à-dire aussi longtemps que dure sa vie.
2) De plus, le serviteur ne choisit pas le chemin qui lui plaît, mais celui de son Maître, c’est-à-dire le chemin du sacrifice et du renoncement volontaires. Quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses, le serviteur fidèle emboîte les pas de son Maître.
Ces deux conditions font peur à beaucoup d’hommes, car ils ont l’impression qu’ils ne seront jamais libres comme ils désirent l’être. Alors, ils essaient de temporiser, d’organiser leur vie, de s’arranger tant bien que mal avec ce que Jésus a dit. Cette attitude fréquente est pernicieuse. En effet, quand ce compromis avec Dieu dure assez longtemps, l’homme finit par croire qu’il est dans le plan de Dieu, et il ne voit donc aucune raison de changer !
Aussi longtemps que l’homme a les regards fixés sur lui-même, accorde de l’importance à sa liberté, à ses projets, à ses désirs même les plus nobles, à ses ambitions même légitimes, il ne comprend pas qu’il est en train de tout perdre, parce que, comme il a été dit plus haut : « Tout ce qui n’est pas livré à Dieu par un acte de libre renoncement renferme un germe de mort ».
C’est la raison pour laquelle, un chrétien ne devrait jamais se lasser d’adresser à Dieu la prière finale du Ps 139 : « Sonde-moi, ô Dieu, et connais mon cœur ! Scrute-moi, et connais mes préoccupations ! Regarde si je suis sur une mauvaise voie, et conduis-moi sur la voie de l’éternité. »
La fin du v. 26 devrait guider les chrétiens qui recherchent le vrai bonheur : « Mon serviteur sera là où je suis. Si quelqu’un est à mon service, le Père lui fera honneur ».
Ces deux phrases ne doivent pas être séparées, car elles sont toutes deux dans le registre de la bénédiction. Pour bien comprendre en quoi consiste l’honneur que Dieu veut faire à ses serviteurs, reportons-nous à une prière de Jésus : Ô Père, mon désir est que ceux que tu m’as donnés soient avec moi là où je serai, et qu’ils contemplent ma gloire, car c’est toi qui me l’a donnée, parce que tu m’as aimé avant la création du monde » (Jn 18,24).
La bénédiction et l’honneur que Jésus fait à ses serviteurs fidèles, c’est qu’ils contempleront sa gloire, dès ici-bas, mais aussi pour l’éternité.
Est-ce que la promesse de contempler la gloire du Seigneur éveille vraiment en nous une joie profonde ? Avons-nous la même soif que Moïse avait de voir la gloire de Dieu : « Fais-moi voir ta gloire ! Demande-t-il (Ex 33,18).
Les 2 versets suivants (27 et 28) nous montrent le combat intérieur de Jésus devant la perspective du supplice horrible qu’il va devoir affronter : « À présent, je suis angoissé, mon âme est en émoi. Que dois-je faire ? Vais-je dire : Père épargne-moi cette heure de souffrance ? Mais c’est précisément pour passer par cette heure-là que je suis venu ! Je dirai : Père, glorifie ton nom. »
Dans les deux autres passages où Jean parle d’un trouble de Jésus — devant le tombeau de Lazare (11,33) et au moment où il annonce que Judas va le trahir (13,21) — c’est le mot « esprit » qui figure dans le texte grec. Or, ici il emploie le mot âme. — Je souligne en passant l’importance qu’il y a à connaître la différence entre l’âme et l’esprit — En employant le mot âme, Jean veut nous dire que Jésus est aux prises avec ses émotions naturelles, ses émotions d’homme, devant la perspective des douleurs et de la mort qui l’attendent. Son émotion se traduit par une prière hésitante faite de questionnement : « Que dois-je faire ? ; Vais-je dire : Père, épargne-moi cette heure de souffrance ? Ces questions ne s’adressent pas à Dieu, mais à lui-même. Son âme, le siège de ses émotions d’homme, est troublée ; mais son esprit reste ferme. C’est pour cela qu’il peut ajouter tout de suite : « Mais c’est précisément pour passer par cette heure-là que je suis venu ». Son âme a retrouvé la paix, et il peut totalement s’abandonner à Dieu : Père, glorifie ton nom ! » C’est-à dire : Tire de moi ta gloire, en faisant de moi ce que tu voudras.
Est-ce que nous prenons la mesure de la grandeur de ce don de soi ? En tant qu’hommes tellement limités dans notre capacité d’aimer gratuitement, on a du mal à concevoir la grandeur de l’amour que Jésus a manifesté à ce moment précis de sa vie.
Cet acte d’abaissement volontaire et de consécration totale va être marqué par un signe de Dieu, comme au baptême (Lc 3,22) et à la transfiguration (Mt 17,5) : « Alors une voix se fit entendre, venant du ciel : J’ai déjà fait éclater ma gloire, et je continuerai à le faire ».
Comment comprendre ce passé : « J’ai fait éclater ma gloire » , et ce futur : « je continuerai à le faire » ?
Dieu a déjà fait éclater sa gloire à travers le ministère de Jésus, au milieu du peuple juif, par son enseignement, ses guérisons, ses miracles, les cœurs et les vies transformées. Mais ce ministère se prolongera non seulement dans le monde Juif, mais dans le monde entier après la Résurrection et la Pentecôte, avec la venue de l’Esprit Saint. C’est bien ce que nous voyons aujourd’hui ; il y a des chrétiens dans tous les pays du monde, même dans ceux où les persécutions sont les plus atroces. Aujourd’hui, comme du temps de Jésus, les dons de l’Esprit se manifestent de la même façon, avec la même puissance, à travers guérisons et miracles, et des millions de vies sont transformées.
La foule entend quelque chose, mais tous ne comprennent la même chose : pour les uns, c’est un coup de tonnerre, pour d’autres, c’est la voix d’un ange. Même si le texte n’est pas parfaitement précis, on peut déduire que certains ont entendu la voix et ont compris les paroles.
Jésus s’empresse de dire à ceux-là que ce n’est pas pour lui que la voix s’est faite entendre, mais pour eux. Et ce qu’il leur annonce est d’une importance extrême. C’est un tournant de l’histoire du monde : La mort de celui qui leur parle marquera le jugement du monde. Comment ? La Croix va dévoiler complètement l’état moral de l’humanité naturelle. Les hommes qui refusent la croix se condamnent eux-mêmes. Ceux qui l’acceptent y trouvent leur salut par la foi.
Mais la crucifixion de Jésus est aussi le plus impardonnable forfait de Satan. Il met fin à la patience de Dieu envers lui, et à son règne. La mort de Jésus signe la fin de la domination de Satan sur l’humanité : « Oui, maintenant le prince de ce monde va être destitué » (v. 31b).
« Et moi, quand j’aurai été élevé au-dessus de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (v.32).
Jésus a été « élevé » sur la croix. C’est ce qui a marqué la défaite définitive de Satan. Mais il a été aussi élevé dans les lieux célestes, là où il règne pour l’éternité. Et c’est de là qu’il attire les hommes à Lui : Tous les hommes. Non seulement les Juifs, mais aussi les Grecs, c’est-à dire les hommes de toutes les nations non Juives.
Frères et sœurs, mesurons-nous la grâce qui nous été faite de recevoir des mains de Dieu le cadeau de la foi en Jésus-Christ ?
14:07 Publié dans Prédications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : renoncer à sa vie
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