26 février 2024
Qui est mon prochain ?
Qui est mon prochain ?
Luc 10,25-37
Le texte que je vais lire n’est pas de moi, mais de Martin Luther King, ce pasteur baptiste qui a lutté toute sa vie contre la ségrégation raciale, et qui a été assassiné le 4 avril 1968 à Memphis, Tennessee.
Je l’ai juste condensé et adapté pour qu’il entre dans le cadre d’une prédication et qu’il soit facilement accessible à l’audition. Il est extrait du livre « La force d’aimer » paru chez Casterman, en 1964.
« Je voudrais parler d’un homme bon, dont la vie exemplaire sera toujours une lumière éclatante troublant la conscience endormie de l’humanité. Sa bonté ne se fondait pas sur une confiance passive en un credo particulier, mais sur sa participation active pour sauver une vie.
« La préoccupation éthique du docteur de la loi qui interroge Jésus, est exprimée dans une histoire qui débute par une discussion théologique à propos de la vie éternelle et qui s’achève par un exemple concret de compassion sur une route dangereuse de Judée où des brigands faisaient la loi.
Cet homme qui a été formé dans tous les détails de la loi juive pose une question à Jésus :
—« Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? »
— « Qu’est-il écrit dans la loi ? Qu’y lis-tu ? lui demande Jésus.
Le Docteur de la loi cite immédiatement Dt 6,5 : « Tu aimeras le seigneur , ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même ».
« Alors vient la parole décisive de Jésus « Tu as bien répondu ; fais cela et tu vivras ».
Voulant se justifier, l’homme demande alors à Jésus : « Et qui est mon prochain ? ».
« Jésus ne veut pas se laisser entraîner dans une discussion théologique. Il raconte alors l’histoire du Samaritain.
« C’est comme si Jésus disait à cet homme, mais à nous aussi : Votre prochain, c’est celui envers qui vos agissez en bon compagnon. C’est celui qui se trouve dans le besoin au bord de la route. Il n’est ni Juif, ni Gentil ; il n’est ni Russe ni Américain ; il n’est ni blanc ni Noir. C’est « un homme — tout homme dans le besoin— sur une des nombreuses routes de Jéricho de la vie. Jésus définit donc le prochain non comme une formule théologique, mais par une situation vitale.
En quoi consistait la bonté du bon Samaritain ? Pourquoi sera-t-il toujours elle modèle d’une bonne relation ? La bonté de cet homme peut être décrite par un seul mot : l’altruisme. Le bon Samaritain était altruiste jusqu’au fond du cœur. L’altruisme, c’est le souci et le dévouement pour l’intérêt des autres. Le Samaritain était bon parce qu’il faisait de la préoccupation d’autrui la première loi de sa vie.
« Le Samaritain était capable d’un altruisme universel. Il percevait avec acuité ce qui est au-delà de la race, de la religion, de la nationalité. L’une des grandes tragédies du comportement des hommes dans l’Histoire, a été la restriction du souci du prochain à la famille, à la race, à la classe et à la nation.
« Quelles sont les conséquences désastreuses de cette attitude à courte vue, centrée sur le groupe ? C’est que personne ne se soucie réellement de ce qui arrive au gens en dehors de son propre groupe. N’est-ce pas pour cela que les nations s’engagent dans la folie de la guerre sans le moindre sentiment de repentir ? N’est-ce pas pour cela que le meurtre d’un compatriote est un crime, mais que le meurtre des citoyens d’une autre nation en guerre est parfois vu comme un acte héroïque ?
« Si un homme blanc ne se soucie que de sa propre race, il passera sans intérêt auprès du Noir qui a été dépouillé de sa personnalité, privé de son sens de la dignité et laissé pour mort sur quelque bas-côté de la route.
« Il y a quelques années, une auto transportant plusieurs membres d’une équipe de basket-ball d’un collège noir a eu un accident sur une route du Sud, et 3 jeunes gens furent gravement blessés. Une ambulance fut immédiatement appelée, mais en arrivant sur place, le chauffeur qui était blanc, déclara sans une excuse que ce n’était pas dans ses habitudes de servir des nègres, et il repartit. Un automobiliste de passage conduisit bénévolement les blessés au plus proche hôpital, mais le médecin de service déclara d’un ton hostile : « Nous ne prenons pas de nègres dans cet hôpital ». Lorsque les garçons arrivèrent enfin à un hôpital de « couleur », dans une ville à quelque 70 km de l’accident, l’un était mort et les deux autres moururent respectivement 30 et 50 minutes plus tard.
« La vraie tragédie du repli sur le groupe, la famille ou la nation, est que nous voyons les gens comme des entités ou simplement comme des choses. Trop rarement, nous voyons les gens véritablement en tant « qu’hommes ». Nous voyons les gens comme Juifs ou Gentils (non-Juif), catholiques ou protestants, Chinois ou américains, Noirs ou Blancs. Nous ne pensons pas à eux comme à des frères humains, faits de la même pâte que nous, modelés sur la même image divine. Le Sacrificateur et le Lévite ne virent qu’un corps ensanglanté, non un être semblable à eux. Mais le bon Samaritain nous rappellera toujours qu’il faut détacher de nos yeux spirituels la cataracte de l’exclusion des autres, pour voir les hommes comme des hommes. Si le Samaritain avait considéré le blessé d’abord comme un Juif, il ne se serait pas arrêté, car les Juifs et les Samaritains n’avaient aucun rapport. Il le vit d’abord comme un être humain, qui n’était Juif que par accident. Le « bon » prochain regarde au-delà des apparences externes et il discerne les qualités intérieures qui rendent tous les hommes humains et donc frères.
« Le Samaritain était capable d’un altruisme universel, mais aussi d’un altruisme dangereux. Il a risqué sa vie pour sauver son frère, car la route de Jérusalem à Jéricho était dangereuse. S’y attardé pour soigner le blessé pouvait le mettre en danger d’être agressé à son tour.
Le prêtre et le Lévite se sont peut-être posé cette question : « Que m’arrivera-t-il si je m’arrête pour aider cet homme ? Même s’il craignait pour sa sécurité, le Samaritain a renversé la question : « Qu’arrivera-t-il à cet homme si je ne m’arrête pas pour l’aider ? ». Le Samaritain était engagé dans un altruisme dangereux.
Nous nous demandons si souvent : « Qu’arrivera-t-il à mon emploi, à mon prestige, à mon rang, si je prends position dans cette affaire ? Ma maison sera-telle dynamitée ? Ma vie sera-t-elle menacée , irais-je en prison ? Albert Schweitzer ne s’est pas demandé : « Que deviendront mon prestige et ma sécurité de professeur d’université, que deviendra mon standing d’organiste spécialiste de J.S. Bach, si je travaille avec le peuple d’Afrique ? Il s'est demandé au contraire : « Qu’arrivera-il à ces millions de gens blessés par l’injustice si je ne vais pas vers eux ? ». Le Noir confortablement intégré dans la société ne se demande pas : « Qu’arrivera-t-il à ma position assurée, à mon statu de classe moyenne, à ma sécurité personnelle, si je participe au mouvement pour mettre fin à la ségrégation ? ». Mais il se demande : « Qu’arrivera-t-il à la cause de la justice et aux masses du peuple noir qui n’a jamais ressenti la chaleur d’une sécurité économique, si je ne participe pas activement et courageusement à ce mouvement ? ».
« Un homme ne se mesure pas, en définitive, à la place qu’il occupe dans les moments de confort et de facilité, mais à celle qu’il occupe au temps de l’épreuve et de l’adversité. Le vrai prochain risquera sa situation, son prestige et même sa vie pour le bien-être des autres.
« Le Samaritain était aussi animé par un altruisme infini, exceptionnel. De ses propres mains, il a pensé les blessures de l’homme et l’a chargé sur sa propre monture.
« L’altruisme authentique est plus que l’aptitude à la pitié ; c’est l’aptitude à sympathiser. La pitié peut n’être pas beaucoup plus que le souci impersonnel, vite prêt à envoyer un chèque ; mais la vraie sympathie est le souci personnel qui réclame le don de soi. C’est un sentiment fraternel pour la personne dans le besoin, pour sa peine, pour son angoisse, pour son fardeau.
« L’argent sans amour est comme le sel sans saveur : Il n’est plus bon qu’à être foulé aux pieds par les hommes. Être un bon prochain requiert un engagement personnel.
« Une autre expression de l’altruisme infini du Samaritain a été sa volonté de faire plus que son devoir. Après avoir soigné le blessé, il l’a mis sur sa monture, l’a conduit à l’hôtellerie et a déposé l’argent nécessaire à son entretien, assurant que s’il y avait des frais supplémentaires, il y pourvoirait. Son amour était complet.
« Il faut faire une distinction entre les obligations qui peuvent être imposées, et celles qui ne le peuvent pas. Les obligations imposées sont réglées par les codes de la société et l’application des lois. Mais les obligations qui ne peuvent pas être imposées échappent aux lois de la société. Elles concernent des attitudes intérieures, des relations vraies de personne à personne, des expressions de compassion que les traités juridiques ne peuvent pas régler. Les obligations de ce genre découlent de la soumission personnelle à une loi intérieure, écrite dans le cœur de l’homme. Les lois humaines assurent la justice ; une loi supérieure produit l’amour. Aucun code n’a jamais persuadé un père d’aimer ses enfants, ou un mari de montrer son affection à sa femme. Les cours de justice peuvent l’obliger à donner à sa famille le pain du corps ; elle ne peuvent pas lui faire donner la pain de l’amour. Un bon père obéit à ce qui ne peut pas lui être imposé de l’extérieur. Le bon Samaritain représente la conscience de l’humanité, parce que lui aussi obéit à ce qui ne pouvait lui être imposé. Aucune loi au monde n’aurait pu produire cette compassion sans mélange, cet amour vrai, cet altruisme total.
« Dans notre quête d’un amour du prochain qui devienne une réalité, nous avons pour nous guider, outre l’exemple du bon Samaritain, l’amour immense de Jésus. Son altruisme est universel, car il pensait à tous les hommes, même publicains et pécheurs, comme à des frères. Son altruisme fut dangereux, car il traversa volontairement des routes hasardeuses pour une cause qu’il savait juste. Son altruisme fut infini car il choisit de mourir sur la croix. L’histoire ne peut nous fournir d’expression plus magnifique de l’obéissance à la loi qu’on ne pourra jamais imposer : la loi intérieure de l'amour. »
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