23 octobre 2012
Oser se plaindre à Dieu
Anne Laurent
1 Samuel 1,9-18
Osons-nous porter une plainte auprès de Dieu ?
Dans notre monde d'aujourd'hui, les plaintes sont souvent perçues comme des récriminations continuelles : Il toujours en train de se plaindre" avec un sentiment d'agacement de celui qui parle. Trop de plaintes dites pour des choses insignifiantes par rapport aux situations dramatiques de tant de personnes dans le monde diminuent la valeur d'une vraie plainte. De plus, nous nous sentons souvent incapables et impuissants à soulager celui qui souffre ou à répondre à son attente d'être pris en compte dans dce qu'il exprime de sa souffrance.
Notre monde moderne tend à évacuer la plainte, à faire comme si nous voulions qu'elle nous soit extérieurs et surtout qu'elle ne nous atteigne pas. Cependant, des plaintes non entendues ou non exprimées peuvent complètement détruire et conduire au suicide et donc à la mort. Alors, je repose ma question de départ : Dans la prière, osons-nous porter une plainte auprès de Dieu ?
Dieu entend nos prières, et nos plaintes.
Les plaintes sont fréquentes dans la Bible. Elquana vient au sanctuaire de Silo, sanctuaire important par la présence de l’arche d’Alliance, avec ses deux épouses Pénina et Anne pour adorer l’Eternel et lui offrir un sacrifice, un sacrifice de partage entre Dieu et l’homme où une partie de la viande est consommée par les prêtres et ceux qui offrent.
Pénina a des enfants mais Anne est la femme aimée est stérile d’Elquana, et cette situation de stérilité est source de difficultés, de souffrances pour Anne. Elle souffre non seulement de sa stérilité, mais aussi de l’attitude de Pénina, qui ne se gène pas pour bien lui faire sentir régulièrement la différence essentielle entre la fécondité et la stérilité. En ces temps là la stérilité et la fécondité était considérées comme venant de Dieu.
Les connaissances médicales n’étaient pas celles d’aujourd’hui. Enfanter, c’était important dans la suite des générations pour la transmission du nom et du patrimoine.
Elquana essaye de la réconforter de son mieux, mais d’une part il ne peut rien contre la stérilité et d’autre part ses mots ne sont pas assez forts pour effacer l’amertume, ce sentiment durable de tristesse, liée à une humiliation, une injustice. Alors Anne ne reste pas repliée en elle-même, elle se déplace, elle se met en mouvement pour se rendre au sanctuaire, pour s’adresser directement au Seigneur.
Seule Anne parmi les autres femmes stériles de l‘Ancien Testament s’adresse personnellement à Dieu dans cette situation, elle implore elle-même. Sa prière a lieu au moment de sa plus grande détresse. Anne ne dispose d’aucun autre moyen, d’aucune autre ressource, Elle n’a que cette prière de plainte adresser à Dieu pour retrouver sa plénitude de femme et goût à la vie. Dès lors qui mieux que Dieu lui-même peut intervenir pour donner un enfant à une femme stérile. Lui seul est capable de l’entendre et de lui répondre, de lui répondre en grâce.
La plainte réunie à la prière est un cri adressé à Dieu, un appel au Dieu de compassion. Dans l'Ancien Testament la plainte est une partie essentielle de l’évènement entre Dieu et L’homme. L’appel à Dieu dans la détresse accompagne toute l’histoire d’Israël. Des plaintes brèves nous sont transmises dans des textes narratifs en tant que composante de l’événement raconté et dans ces évènements l’homme attend de Dieu d’être entendu et de recevoir un secours. D’ailleurs dans un langage usuel on entend parfois des personnes s’exclamer « Qu’ai-je fais au bon Dieu pour… ? » C’est une plainte où apparaît simultanément la possibilité que le malheur soit le fait de Dieu, c’est la traduction de l’incompréhension de la situation dont on ne se sent pas responsable, mais c’est aussi un appel vers Dieu, je n’ai pas mérité cela, Seigneur viens à mon secours.
Le texte biblique comporte des plaintes individuelles comme la plainte d’Abraham devant la promesse de Dieu qui tarde à se réaliser en Genèse 14, 2-3 (Abram répondit : Seigneur Éternel, que me donneras-tu ? Je m'en vais sans enfants ; et l'héritier de ma maison, c'est Éliézer de Damas. Et Abram dit : Voici, tu ne m'as pas donné de postérité, et celui qui est né dans ma maison sera mon héritier. Alors la parole de l'Éternel lui fut adressée ainsi : Ce n'est pas lui qui sera ton héritier, mais c'est celui qui sortira de tes entrailles qui sera ton héritier. )
Et aussi de nombreuses plaintes du peuple à commencer par la plainte que suscite la servitude en Egypte en Ex 2,23-25 (Au cours de cette longue période, le roi d'Egypte mourut. Les fils d'Israël gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur appel monta vers Dieu du fond de la servitude. 24 Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. 25 Dieu vit les fils d'Israël ; Dieu se rendit compte.
Anne prie pour elle-même et dans ses mots murmurés, elle se dit en vérité. Anne s’ouvre à Dieu, elle lui fait confiance et se met en position de recevoir. Sa prière est non seulement une plainte, elle est aussi assortie d’une demande.
La prière est quelque chose de l’ordre de l’intime, celui qui prie se met dans une relation personnelle avec Dieu. Et cette intimité dans la relation à Dieu est même préconisée en Matthieu 6.5-6 : Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
Anne prie longuement sous le regard de Dieu, et c’est dans ce temps donné à Dieu dans la confiance, qu’elle se met dans une attitude de vérité de ce qu’elle est. Il faut du temps, un temps long pour être vraiment en confiance. Et c’est aussi dans ce temps long qu’elle s’abandonne à l’action de Dieu en elle et dès lors passe d’un plan très intime, très centré sur soi-même, très personnel à un plan de relation où décentrée d’elle-même c’est Dieu qui importe. Et c’est dans cette durée que progressivement sa douleur s’estompe. Dans ce temps donné à Dieu, où elle s’est exposée à l’action de Dieu que sa prière purifie son cœur, agit en elle, alors elle retrouve une paix intérieure. Et à partir de là, et seulement à partir de là, en s’oubliant soi-même en lâchant prise par rapport à notre vie, on devient réceptif, attentif. Le regard change, l’événement est ressenti d’une toute autre manière, la souffrance devient infiniment moindre. On est dans une paix toute intérieure, je dirai presque complètement hors de ce qui nous a conduit à cette prière.
Le verset 11 est le seule verset qui nous fait entrer dans l’intimité de la prière d’Anne. Je vous relis ce verset 11 : Elle fit un vœu, en disant : Éternel des armées ! si tu daignes regarder l'affliction de ta servante, si tu te souviens de moi et n'oublies point ta servante, et si tu donnes à ta servante un enfant mâle, je le consacrerai à l'Éternel pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera point sur sa tête.
La grâce d’avoir un enfant devrait avoir pour effet d’annuler complètement sa souffrance, cependant Anne s’engage de manière particulière en faisant un vœu. Dans le contexte biblique, le vœu a une grande importance, c’est un engagement fort, il est réglementé par des prescriptions données et explicites. Seulement voilà il y a bien plus que la grâce de l’enfant à venir dans ce texte, en effet Anne ne demande pas l’enfant seulement pour elle-même, elle s’efface complètement dans la perspective de l’avenir.
La première condition de cette prière est liée au présent de ce que vit Anne, sa profonde affliction et une grande insistance pour que le Seigneur porte son regard sur elle.
Les deuxième et troisième conditions sont liées à la notion de mémoire et plus explicitement à la mémoire de Dieu.
Anne utilise deux verbes opposés quant à leur sens : se souvenir et oublier, dont l’un semble se référer plus au passé- si tu te souviens de moi -et dont l’autre semble porter sur le futur –et si tu ne m’oublies pas-.
Anne intègre cette double hypothèse dans son vécu présent et donne ainsi plus de force et de certitude quant à la réalité de la mémoire du Seigneur. La dernière condition qui exprime la demande d’Anne, est totalement tournée vers l’avenir. Et si la condition n’est pas encore réalisée, Anne ne doute pas qu’elle soit réalisable. Dans sa promesse elle se dessaisit de ce qu’elle demande, de ce qui est le plus important pour elle, de l’enfant à naître. Quoi de plus important pour une femme que ses enfants, demandez le à une maman. Mais elle le donne à Dieu, elle le donne de son plein gré, car son essentiel c’est Dieu, et elle exprime un projet de vie pour son fils à naitre Samuel et pour Dieu.
Anne transformée par sa prière à Dieu, ne doute pas un seul instant de la réponse de Dieu Cette assurance de la grâce reçue de Dieu la comble et est manifeste aux yeux de tous dans son comportement et sur son visage où toute trace de souffrance n’est plus visible.
Le premier signe manifeste de l’action de sa prière est sa réponse tout en douceur face aux propos d’Eli. Elle ne se sent pas agressée par l’erreur de jugement d’Eli à son égard, d’autant que ce dernier en tant que sacrificateur avait probablement à cœur que le sanctuaire de Dieu ne soit pas un lieu profané mais reste un lieu de culte.
Eli saisit instantanément son erreur d’appréciation. Il lui donne une bénédiction : Va en paix, et que le Dieu d'Israël exauce la prière que tu lui as adressée !
Cette prière est donc une prière agissante, qui ne reste pas sans effet sur la personne qui prie vraiment en vérité et en étant persuadée de la réponse de Dieu
Le Nouveau testament ne nous dit pas autre chose, ainsi en Marc 11.24 : C'est pourquoi je vous dis : Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avez reçu, et vous le verrez s'accomplir.
Ou encore en Phillipiens 4.6-7 : Ne vous inquiétez de rien ; mais en toute chose faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, avec des actions de grâces.Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées en Jésus Christ.
Dans les psaumes les auteurs ont exprimé des plaintes parfois violentes même à l’encontre du Seigneur devant son silence ou son abandon apparent, et même là, au cœur de leur plainte, ils ne lâchent pas Dieu, ils s’appuient sur leur foi et disent, avec tout autant de force, la louange. Ces deux modalités peuvent coexister dans un même psaume.
Dans le psaume 13, le psalmiste dit non seulement sa souffrance, mais il dit aussi le temps trop long de sa détresse, il n’en peut plus : Jusqu’à quand Seigneur ? et pourtant il veut chanter pour son Dieu et dire sa louange.
Westermann, un exégète allemand, dit : La louange de Dieu donne corps à la joie d’exister; la plainte donne corps à la détresse. Comme le langage de la joie et celui du langage de la souffrance, louange et plainte sont ensemble l’expression de l’existence humaine devant Dieu.
Aujourd’hui, le problème de la stérilité semble moindre en raison des avancées et méthodes médicales. Peut être peut-on entendre dans ce terme de stérilité non pas uniquement l’empêchement de donner naissance à un enfant mais aussi tous les empêchements à donner la vie, tout ce qui vient bloquer nos existences, nos rancoeurs, nos amertumes, nos divisions …et peut-être aussi nos doutes ou la faiblesse de notre foi ; et tout ce qui ne produit rien de bon.
Alors cette prière d’Anne pourra peut-être devenir la nôtre, en demandant avec confiance à Dieu de nous guérir de nos stérilités, de notre pêché et de lui remettre le fruit que nous récolterons de sa grande tendresse et de sa miséricorde.
La prière d'Anne dans ses modalités : elle se met à l'écart pour prier, elle prie dans le temple, d'une prière individuelle, prière silencieuse, inaudible même pour un prêtre, prière fervente en pleine confiance, prière de tout l'être avec sa peine, ses pleurs, sa demande, prière longue qui dure, prière secrète et qui ne s’adresse qu’ à Dieu comporte des éléments de l'enseignement ultérieur de Jésus sur la prière :
"Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. 7 Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens; ils s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils se feront exaucer. " (Mt 6, 6-7),
"Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez." (Mt 21, 22),
"C'est pourquoi je vous déclare : Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez reçu, et cela vous sera accordé. "(Mc 11,24.)
"Et il leur dit : « Il est écrit : Ma maison sera appelée maison de prière... "(Mt 21,13).
Jésus lui-même dans le jardin des oliviers et lors de sa mort, vit des heures de solitude et d’angoisse. Les évangélistes nous rapportent les dernières paroles de Jésus sur la croix : Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Père entre tes mains je remets mon esprit. Tout est achevé. Ces paroles disent tout autant la plainte que la confiance et l’espérance. Tout remettre dans les mains de Dieu.
La plainte a donc toute sa place dans l’expression de la prière, comme la joie, la tristesse, la louange et l’adoration. C’est une “couleur” parmi d’autre ! Sans elle, c’est un aspect important de notre relation avec Dieu qui disparaît !
La prière qui exprime la plainte regarde vers l’avenir, vers la vie, elle s’adresse à notre Dieu de compassion, d’espérance et de miséricorde.
15:26 Publié dans Prédications | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : plainte, prière
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