02 octobre 2014
L'offrande
L’Offrande
Antoinette BUTTE
Communauté de Pomeyrol
Librairie Oberlin, Strasbourg-Paris 1965
Notes sur l’introduction
Remarque : À quelques exceptions près, le texte ci-dessous est celui de l’ouvrage de l’auteur. Je me suis borné à quelques phrases explicatives ou de liaison entre les différents passages qui m’ont paru particulièrement intéressants.
En préliminaires de l’introduction, l’auteur écrit :
La notion d’offrande à Dieu par le croyant s’est singulièrement amenuisée, au cours des siècles, dans la théologie, puis dans le culte, la piété et l’éducation calvinistes.
L’esprit de sacrifice s’est alors moralisé, passant de la vie religieuse à l’éthique, où il manque à la fois de fondement et de stimulant. Un ressaisissement est nécessaire. Il se fera par une méditation plus attentive de la Parole de Dieu.
Les notions d’offrande et de sacrifice
L’offrande est un don. On l’appelle « sacrifice » lorsqu’elle est « mise à part pour Dieu ».
Comme tout don, cette offrande établit un lien entre celui qui offre et celui qui agrée. Par une offrande, on cherche l’autre ou on lui répond.
Le sens courant perçoit le sacrifice comme une dépossession douloureuse et non comme un acte d’amour qui offre quelque chose. On a souvent compris le sacrifice religieux comme un acte de contrainte à l’égard de Dieu. On devrait le percevoir, au contraire, comme un acte qui procure la joie, comme on le voit pour la fête de Soukkoth qui durait 7 jours et au cours de laquelle étaient offerts des sacrifices (Lev 23.33-43).
Le sacrifice libère l’homme
Dans quel sens comprendre cela ?
Le fait d’avoir, de posséder, menace « l’être ». C’est une menace pour l’homme d’être prisonnier de l’objet. La possession use l’être et les rapports entre les êtres. Elle use l’amour, elle détruit l’amitié, elle sclérose l’homme. C’est dans ce constat de dégradation que ce situe la nécessité vitale du sacrifice.
Cette nécessité est permanente : c’est la vie quotidienne qui use la vie. Nous ne consentons pas au médiocre, mais la vie tend vers le médiocre. On renie rarement sa foi, mais les continuelles petites infidélités usent la foi. L’ordinaire laïc use la consécration. Sans que l’homme le veuille ou en ait conscience, l’être tend vers l’avoir par une sorte de glissement quotidien continu.
Contre cet abaissement des valeurs, le sacrifice renouvelé assure les redressements et les ressaisissements nécessaires.
Le sacrifice, l’offrande de soi évite à l’homme pieux de s’installer dans le dogmatisme, le légalisme et l’institutionnalisme où conduisent souvent les religions. Le sacrifice permet à l’homme religieux de sortir des principes des comportements, des routines des sécurités. C’est cela qui préserve sa liberté d’enfant de Dieu.
Mais le sacrifice fait plus que préserver la liberté. Il est l’arme d’un mystérieux combat contre la mort et pour la vie : « Si le grain ne meurt, il reste seul. S’il meurt, il porte beaucoup de fruits » a dit Jésus (Jn 12.24).
Cette parole du Christ n’est pas seulement un précepte mais une des grandes Lois universelles de la vie : ainsi a été créé par Dieu la Vie.
Ce qui est vrai dans la nature, (le grain de blé doit d’abord être mis en terre et mourir pour pouvoir donner un épi gorgé de grains nouveaux) l’est aussi dans la vie religieuse : la vie éternelle est promise au jeune homme riche, s’il donne tout. S’ils se dépouillent de tout, des pères, des mères, des sœurs, des frères, des biens terrestres et la vie à venir sont promis aux disciples (Mc 10.28-30).
Une vie offerte est une source de vie et de joie. Les vrais martyrs, ceux qui sont libres de renoncer à leur vie et à mourir pour la vérité sont pleins de joie : Cf Act 5.41.
Un sacrifice, c’est l’émondage auquel est voué le sarment s’il veut donner beaucoup de fruits (Jn 15). C’est un acquiescement aux desseins de Dieu. Le sacrifice crée une liberté, une disponibilité qui permet à Dieu d’agir. Tout bien offert, toute vie offerte devient, entre les mains de Dieu un instrument de ses desseins.
Autre vision du sacrifice
Les vrais rapports entre les hommes et entre l’homme et Dieu sont des rapports selon l’être et non selon l’avoir. C’est grâce au sacrifice que ceci est possible.
Lorsque l’avoir devient don, il établit un rapport selon l’être, c’est-à-dire un rapport vrai, un dialogue vrai.
Si petit que soi le don, s’il est chargé d’intention, il peut établir un dialogue immense, un dialogue secret, une réalité de présence précieuse. Un service rendu, un geste de compassion peut prendre une importance énorme.
« C’est par la voie du sacrifice gratuit que les hommes communiquent les uns avec les autres » écrivaient Saint-Exupéry.
L’offrande est un acte de générosité, une vertu majeure de la vie religieuse. Or, celui qui donne reçoit parce qu’il a été vers l’autre. Il reçoit encore parce que le don, non seulement cherche, mais établit le lien.
Dans le christianisme, c’est le fait que Dieu se donne qui provoque le dialogue. Le don de l’homme n’est qu’une réponse. Mais il n’en est pas moins nécessaire, car il n’y a pas de dialogue sans réponse.
Les offrandes sacrificielles du chrétien sont donc une nécessité. Elles font partie de sa foi comme de sa piété, de son culte comme de son activité, de son engagement comme de sa joie.
Les offrandes sacrificielles du croyant sont une nécessité pour sa bonne santé religieuse comme pour sa vérité.
Ainsi donc, si Dieu n’a pas besoin de sacrifices, l’homme, lui, a besoin d’offrir. Dieu le sait qui a créé l’homme et le connaît. Tout ce que Dieu demande à l’homme est pour le bien de l’homme. Tout commandement est une intention d’amour. C’est pourquoi la pédagogie divine imposait aux Israélites de nombreux sacrifices allant de la plus petite offrande de fleur de farine aux grands holocaustes.
Les dérives de la foi protestante
Pourquoi l’offrande a-t-elle été minimisée dans la piété et l’éducation protestantes ?
Au salut par les œuvres, au magisme des rites longtemps enseignés dans l’église romaine, les réformateurs ont opposé, à juste titre, la souveraineté de Dieu et le sacrifice rédempteur de Jésus qui a tout accompli, une fois pour toutes pour le salut de celui qui croit.
Jésus-Christ nous sauve. Ce qui est demandé au chrétien c’est de croire et de nous attacher à Lui par la foi. La foi n’est pas une croyance, mais un attachement. C’est la seule réponse de l’homme à la Grâce.
Les successeurs des réformateurs ont systématisé ce message : Dieu fait tout, l’homme pécheur ne peut rien faire de valable aux yeux de Dieu ; il ne peut que croire et obéir.
Les mot-clefs de la théologie et de la prédication protestante sont Foi et Obéissance.
Mais les mots ont une puissance suggestive qui leur sont propres. Celui d’obéissance suggère la Loi et le Service. Dans cette compréhension, l’Offrande à Dieu disparaît peu à peu de la conscience du peuple protestant.
Il en résulte une carence importante dans la vie religieuse. Les conséquences en sont multiples :
─ Ne s’offrant plus à Dieu, l’activité de l’homme se tourne vers l’homme.
─ L’homme pieux désire faire de bonnes œuvres. Dans sa profession elles seront des œuvres utiles et prospères. Dans sa vie religieuse, elles seront œuvres de bienfaisance, efficaces à secourir. Ainsi, la religion de la « foi seule » devient-elle celle des œuvres.
─ La piété se transforme et change de perspective : on fait le culte pour une assemblée, pour des hommes. On va au culte si c’est utile (et bien des choses apparaissent plus utiles). La liturgie n’est plus comprise, sa valeur est mise en question : à quoi sert-elle ? L’offrande financière devient une quête pour une utilité. L’architecture des lieux de culte est-elle pour Dieu pour l’homme ? Pour la louange, l’adoration, la contemplation, ou pour le rassemblement pratique d’une assemblée ?
En devenant obéissance, la sanctification tombe dans le légalisme.
Ainsi, l’absence d’Offrande rompt le dialogue d’amour et le lien communiel avec Dieu.
Une contradiction avec les textes bibliques ?
L’auteur fait remarquer que les textes bibliques antisacrificiels son nombreux et importants :
Ps 40.7 ; 51.18 ; 50.7-15 ; 1 S 15.22 ; Mt 9.13 ; Mt 14.23Mc 12.33.
La Réforme s’est emparée de ces textes et a proclamé à juste raison qu’il ne peut y avoir de sacrifice agréé sans piété ni cœur sincère, et que la pratique de la justice et de la miséricorde vaut mieux que le culte (les sacrifices).
Mais cela rend-il les sacrifices (les offrandes) caduques ou secondaires ?
Les textes bibliques qui semblent antisacrificiels à la première lecture ne le sont plus lorsqu’on approfondit le contexte dans lequel ils ont été écrits. En effet, ces textes dénoncent les sacrifices faits sans piété ni ferveur. Ils visent les gens qui prétendent obtenir des faveurs en offrant des sacrifices. Ils mettent en garde les formalistes et les hypocrites du monde pour qui les pratiques religieuses sont un alibi qui les dispense de vertu. Mais dans tous ces textes qui s’élèvent contre une fausse piété, il n'est jamais question d’abolir.
Source et fondement de l’offrande
Les sacrifices offerts à Dieu sont une réponse à la grâce de Dieu.
Dans la nouvelle Alliance, la grâce est tout entière manifestée par le sacrifice rédempteur.
À partir de la croix, le chrétien ne peut plus sacrifier pour se justifier, ni pour se purifier, ni pour obtenir. Il est dans l’Alliance de grâce où tout est grâce. Mais il ne croit ni ne reçoit passivement : lorsqu’elle est bien comprise, la grâce de Dieu provoque le mouvement de l’homme vers Dieu. C’est l’appel de Dieu qui suscite la consécration. La réponse du croyant à l’appel de Dieu ne se résume pas dans l’obéissance. Si grande que soit l’obéissance, elle n’est plus suffisante dans l’Alliance de Grâce. En Jésus-Christ, nous sommes aimés comme des fils. L’obéissance ne suffit pas à l’amour filial. Si nos actes ne sont qu’un service, ils deviendront vite une servitude. Il faut que tout ce qui ira de l’homme vers celui qui est son Père en Jésus-Christ porte la marque de l’amour filial ; il faut que tout soit offert, par amour et pas seulement par obéissance.
Sans amour, le sacrifice n’est rien : Quand même je livrerais mon corps en sacrifice, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert de rien (1 Co 13.3).
Si un sacrifice est fait par obéissance, nous sommes sous la Loi.
S’il est fait par vertu, nous y sommes plus encore.
S’il est fait pour un gain, il cesse d’être gratuit.
S’il est fait pour les besoins de l’homme, par utilité, nous quittons la vie religieuse pour la vie naturelle.
Quand on parle de l’obéissance de la foi, il faut prendre le mot foi, fides, dans son sens étymologique, qui est attachement, amour. Le mot obéissance devient une source de malentendus. Certes, il n’y a pas d’amour de Dieu sans obéissance, mais le sacrifice agréé sera l’obéissance de la foi. (// avec : je ne fais pas des œuvres pour être sauvé, mais parce que je suis sauvé).
La consécration agréable à Dieu n’aura pas ce visage tendu du devoir et de l’obéissance, ni du perpétuel sentiment d’imperfection et d’impuissance, qui est celui de tant de vies consacrées. Elle sera essentiellement adoration, louange et reconnaissance, avec cette joie simple et détendue des relations d’amour.
Mais notre amour est si imparfait ! Heureusement pour nous il y a Jésus-Christ. L’offrande demandée dans Rm 12.1 (Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui est votre vrai culte) est reliée par le « donc » aux chapitres précédents, tant pour être sainte que pour être agréée. Elle ne peut être offerte et sainte et agrée que par Jésus-Christ, qui nous a acquis justice et sainteté. C’est lui qui offre au Père notre petite et impure offrande et qui la consume par le feu de l’Esprit.
13:46 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoinette butte, l'offrande
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